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Une tribune de Jean-François Serval dans le Monde.fr

Le Monde 28/03/2024
« Vu les évolutions technologiques des marchés financiers, il semble logique qu’une monnaie numérique devienne l’étalon universel ».

Faisant le lien entre déficit public et déficit commercial, l’expert-comptable Jean-François Serval estime, dans une tribune au « Monde », que l’ajustement monétaire doit être au cœur des enjeux de la dette pour garantir l’intérêt de tous.

 Quand le président de la Réserve fédérale (Fed, la banque centrale américaine) lance un cri d’alarme sur la dérive du déficit budgétaire américain, il faut prendre l’avertissement au sérieux. « La dette augmente plus vite que l’économie, elle est donc insoutenable », note Jerome Powell, dans sa déclaration du 5 février, alors que la hausse des taux décidée par la Fed n’a pas cassé une croissance américaine toujours soutenue par une surabondance de liquidités et l’évolution positive du dollar dans un contexte de tension internationale.

Plus que la croissance de la dette en soi, c’est la déconnexion entre le gonflement de la masse monétaire et les besoins des échanges que le banquier central met en avant. Le premier enjeu de l’économie mondiale est bien celui du rapport entre la production et la monnaie. Il doit nous conduire à raisonner au regard de leurs interactions qui changent les champs de perception classique sur l’évolution de la masse monétaire et de la dépense publique.

Les déséquilibres financiers d’un monde globalisé sont hors de contrôle et aucun début de réponse au piège de la dette qui se referme sur des économies fragilisées n’apparaît véritablement. Un accident de parcours, lié à des événements politiques ou d’ordre économique, pourrait précipiter l’effondrement d’un système monétaire en déséquilibre chronique, qui ne tient que par l’abondance de liquidités alimentée par des politiques budgétaires laxistes qui maintiennent la machine en mouvement.

La France, classée parmi les cinq nations les plus endettées, avec une dépense publique qui culmine aujourd’hui à 57,3 % du produit intérieur brut (PIB), est au cœur de cet enjeu financier. Comment reprendre le contrôle de la dérive budgétaire ?

Ajustement des parités monétaires

Compte tenu des masses monétaires en jeu, l’indispensable réduction de la dépense publique ne peut suffire pour un retour à une situation maîtrisée. Dans une économie globalisée, le déséquilibre des échanges est au cœur de la problématique des déficits. La question des échanges renvoie mécaniquement à celle des parités de change. Sans un meilleur équilibre entre les échanges, il ne peut y avoir de retour à un équilibre relatif entre pays créanciers et débiteurs.

L’effort de réduction de la dépense publique doit aussi passer par un ajustement des parités monétaires qui permette de redynamiser les capacités productives des Etats les plus endettés. Cette reconfiguration des parités concerne d’abord les échanges en produits manufacturés entre les Etats-Unis et la Chine, mais aussi, dans une moindre mesure, la zone euro et l’empire du Milieu, sans oublier des dragons industriels comme le Japon ou la Corée du Sud.

Concrètement, cet objectif signifie une hausse des taux d’intérêt chinois en vue d’une augmentation des facteurs de production chinois pour un rééquilibrage mécanique des échanges par une réduction de l’offre. Un rééquilibrage qui ne peut se réaliser que sur la durée, sur la base d’une dynamique soutenue dans les investissements d’avenir.

Ce réajustement des parités vise également à organiser un système de change à parités fixes, mais ajustables, qui prenne en compte les besoins et les capacités de chaque pays. Ces parités devraient être définies par rapport à un nouvel étalon universel, nécessaire à la mesure de la solvabilité des émetteurs nationaux, aux règlements des transactions internationales et pouvant, à terme, servir de valeur de réserve.

Une réforme du système monétaire international

Un nouvel ancrage, donc, qui permettrait de générer un minimum d’équilibre dans les échanges internationaux et de stabilité et d’ordre dans les mouvements de change planétaires, dans un contexte où la multipolarité croissante du monde relativise nécessairement l’omniprésence du dollar.

Si le billet vert n’a plus vocation à tenir indéfiniment le rôle de monnaie de réserve, il semble alors logique, au regard des évolutions technologiques des marchés financiers, qu’une monnaie numérique, définie par les grandes banques centrales, devienne l’étalon universel qui serve de régulateur à cette future configuration monétaire. Cette dernière mettrait fin à la parenthèse ouverte en 1976 par les accords de la Jamaïque qui ont instauré un système monétaire sans repère fixe, depuis l’abandon de l’étalon-or.

Cette nouvelle donne n’est envisageable que dans le cadre d’une entente entre les nations les plus développées qui déterminent la structure des échanges de l’économie mondiale. Ce consensus passe nécessairement par la tenue d’une conférence qui viserait à une réforme du système monétaire international. Cet objectif peut paraître utopique, à l’heure d’une confrontation majeure entre les deux géants économiques. Les temps ne sont pas à la recherche du consensus et du partage du leadership mondial.

Pourtant, la compétition économique et la course à l’armement qui l’accompagne sont un danger pour tous les peuples. Toutefois, dans une époque historique où l’éventualité d’un conflit entre les puissances dominantes peut devenir un scénario d’apocalypse, n’est-il pas plus raisonnable et logique de mettre en avant les intérêts économiques des nations, pour dépasser les passions identitaires et construire un nouvel ordre mondial fondé sur une recherche d’équilibre des échanges qui passerait par la mise en œuvre d’un nouveau système monétaire international ? Un monde, pour une fois, pacifié par l’intérêt économique et l’instrument monétaire qui l’accompagne, en quelque sorte !

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